Cas 25- Mr et Mme Kraspouille

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C’est ainsi que j’ai surnommé le couple dont j’ai la charge pour des soins infirmiers. Leur véritable identité a une sonorité proche de cette appellation qui peut certes choquer par son caractère péjoratif ou moqueur mais ce n’est pas voué à cet objectif, loin de là.

Monsieur est au moins octogénaire, alité, atteint de la maladie de Parkinson et porteur d’une sonde à demeure. Il a exercé dans la comptabilité et reste encore très vif intellectuellement. Son épouse, de corpulence sèche et chétive est un peu plus jeune. Elle est originaire d’Europe de l’est et présente des désordres psychiatriques, je ne me souviens plus si le diagnostic médical posé est celui de maladie d’Alzheimer. Elle est hyperactive et présente des TOC (troubles obsessionnels compulsifs). Elle perd la mémoire, la notion du temps et est très têtue, même parfois agressive quand on la contrarie. Ils habitent les beaux quartiers bordelais et n’ont pas d’enfant.

La prise en charge est difficile à tout point de vue parce que madame n’ouvre pas toujours la porte et ne répond pas à la sonnette. Elle s’enferme dans la salle de bain où est stocké le matériel de prise en charge de son mari, ce qui oblige à attendre parfois longtemps qu’elle veuille bien ouvrir. Elle passe son temps à déplacer les objets, à ranger et à déballer.

Régulièrement je retrouve avec stupeur et dégoût les légumes dans le récipient sensé recueillir les urines de vidange de son mari.

Il est impossible et inutile d’entretenir une discussion avec elle et le mari finit par ne plus rien dire. La situation est désespérante. Garder le logement propre avec un minimum de cohérence en terme d’hygiène est impossible. Je me dis que leur système digestif est très résistant ainsi que leur immunité.

Je ne comprends pas pourquoi Mr K. est grabataire et rendu à un état de dépendance extrême car la sonde vésicale et la maladie de Parkinson n’empêchent pas un minimum de mobilité, donc d’autonomie. Je ne comprends pas non plus pourquoi ils ne sont pas en institution.

Mr K. est très passif ; est-ce son état naturel ou l’est-il devenu?!

Lors de la toilette, je le stimule pour le faire participer, mais il rechigne souvent. Je ne lâche rien… il finit par mettre son T-shirt tout seul ou presque.

Je donne mon point de vue qui est sur la base de l’établissement de mon diagnostic infirmier, à ma collège qui le prend en charge depuis plus longtemps que moi. Le kiné passe plusieurs par semaine. Serai-je la seule à me questionner ?!

Est-ce que ce que ma réaction et mes questionnements sont justes ou est-ce j’ai le chic pour me compliquer l’existence ?!

Après tout, je ne suis pas médecin, pas kiné et j’ai bien senti que je n’aurai pas le soutien de ce dernier. Humainement poursuivre les soins dans ces conditions, ce n’était pas acceptable. Il m’est difficile de me résigner, question d’éthique, de valeurs… appelez-ça comme vous voulez !

Un matin je me décide à dire à Mr Kraspouille que c’est bientôt Pâques et mon projet est qu’il puisse se tenir assis au bord du lit… au moins çà. J’ai testé ses capacités à se mouvoir dans le lit ainsi que sa tonicité musculaire.

Ma proposition a l’air de le terrasser de frayeur… J’insiste : « Si, si… c’est mon miracle de Pâques !! » et dans ma tête « yes he can !! ».

Je mets à exécution mes belles paroles et le lendemain, je lui lance un « allez c’est parti… ». Il chavire un peu, je le tiens fermement, comme pour l’encourager… et résultat émouvant : il a les pieds par terre et assis au bord du lit à siroter son verre pour prendre les médicaments, ce qu’il n’a pas fait depuis très très longtemps. Je lui lance : « alors ce n’est pas mieux cette position quand même pour boire !! ». Je suis très fière de lui, il me sourit.

Quelques mois plus tard, j’apprends que le couple a (enfin) été placé dans un institut et que monsieur (re)marche… Un autre miracle !! Il décédera dans les mois à suivre mais dignement, de mon point de vue.

NB :

Sortir de la routine, c’est aussi sortir de son propre confort de soignant. En activité libérale, on se sent parfois bien seule à gérer les prises en charge, raison pour laquelle il est indispensable de développer un réseau pluridisciplinaire.

Dans cette perspective j’avais initié avec le soutien de Laetitia, déléguée commerciale de laboratoire, des rencontres entre professionnels. Elle avait eu l’idée de les appeler les « goûters de Kim »…

D’un point de vue, très terre à terre : la rentabilité !!

– j’ai perdu un patient qui rapportait beaucoup mais le savoir dans un environnement plus approprié et sécurisé n’a pas de prix, il me semble.

– la surprise de découvrir quelques mois plus tard un rejet de paiement de près de 900 euros pour ce patient pour une raison que je ne connaîtrai jamais puisqu’il paraît que je me suis renseignée trop tard. C’est la réalité quotidienne de notre métier… L’envers pas toujours rose du décor…

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