J’ai une nouvelle patiente dans mon cabinet infirmier, Joséphine, pour 2passages par jour. Sa fille Christine, biologiste, est la référente, ses 2 frères sont aussi très présents auprès de leur mère qui est veuve et vit seule dans une grande maison. Le médecin traitant est un ami de la famille.
L’étage et le sous-sol du logement sont sécurisés et il y a des caméras parce que Joséphine qui est atteinte de maladie neurodégénérative est déjà bien appareillée avec prothèses de hanche et genou et chute régulièrement. Elle porte un bracelet alarme dont elle ne sait pas se servir mais qui rassure la famille.
Comme j’ai mentionné à Christine : la maintenir à domicile est tout à leur honneur, mais reste une prise de risque non négligeable. Les caméras n’empêcheront pas de se mettre en danger, Joséphine est sous AVK avec un risque majeur d’hémorragie en cas de chute. Elle se déplace difficilement et avec une canne. Néanmoins, je comprends humainement les motivations à la maintenir à domicile.
Joséphine a perdu la notion du temps et le souvenir des gestes de la vie quotidienne :
se laver, s’alimenter même si elle est très gourmande, notamment un penchant pour les aliments sucrés. Elle a une forte corpulence qui ne laisse pas deviner la perte de poids conséquente d’une dizaine de kg. La voisine l’a ramenée à plusieurs reprises parce que retrouvée perdue dans la rue.
Un matin alors que j’arrive vers 6h, je la retrouve encore par terre. Mon réflexe est d’actionner le bracelet alarme… il ne fonctionne pas, j’appelle donc les pompiers. Par chance ils arrivent rapidement et la prenne en charge. Après une évaluation rapide, ils la remettent sur son lit, je vais pouvoir poursuivre les soins. Joséphine a eu une belle frayeur encore une fois, ce qui majore davantage sa crainte de récidive.
J’envoie un message à Christine qui est désolée et très compréhensive, s’empresse d’espérer que cela ne m’a pas retardé pour le reste de ma tournée auprès des autres patients. Je la rassure.
Je suis un peu démoralisée par la situation. La prise en charge ne me satisfait pas humainement.
Je pense qu’il y a mieux à faire plutôt qu’une prise en soins classique : toilette, change, prise des traitements et des paramètres vitaux… et appeler les pompiers quand elle chute. Après tout, je suis payée pour ça et pas plus !
Je propose à Christine des séances régulières de tambour sur quelques semaines, en ajoutant que la musicothérapie a montré ses effets sur les personnes qui présente le même profil que sa mère. Elle me répond rapidement qu’elle est d’accord et ajoute « mon père était féru de musique mais ma mère pas du tout ». Ce n’est pas très engageant, ai-je bien fait ?! Je me dis que dans le pire des cas, j’aurai juste « perdu du temps ».
Je commence donc la prise en charge non classique après avoir réalisé les soins infirmiers de nursing et de surveillance.
Je présente le tambour à Jacqueline et lui demande l’autorisation de jouer. La première séance n’est pas très enthousiasmante en effet puisqu’à peine 3 coups de tambour Jacqueline me dit « ça va » . En somme elle me prie d’arrêter. Je m’exécute toute penaude, la remerciant quand même.
Je ne me décourage pas. Quelques jours plus tard, je reviens avec le tambour et lui représente à nouveau, puis je joue. Tout se passe bien, je poursuis donc pendant quelques semaines.
Le tambour et Jacqueline ont fini par s’apprivoiser.
A la 7e séance, quand j’arrive chez Joséphine avec le tambour, je la retrouve très agitée et en panique, le téléphone en main et tremblant des pieds à la tête. Le téléphone aurait-il sonné pendant sa sieste ou aurait-elle voulu appeler quelqu’un sans y parvenir… Comment savoir ?!
Je la rassure comme je peux et réalise mon travail d’infirmière… Je lui propose contre tout espoir de jouer du tambour après le rituel de présentation habituel. Elle accepte. Je joue quelques minutes emportée par mon tambour, Joséphine se détend : elle ne tremble plus et je la surprends même en train de bailler. Alors que je l’informe de la fin de la séance, elle me demande de poursuivre. Je suis agréablement surprise. Je regarde ma montre… les patients suivants attendront un peu, je sens qu’il se passe quelque chose et préfère faire le choix de répondre à cette demande spontanée.
Pendant que je poursuis, elle me demande si le tambour peut jouer plus fort et plus vite. Pour quelqu’un qui est démente et qui ne s’intéresse pas du tout à la musique, la teneur des échanges me plaît bien. Je lui réponds en liant le geste à la parole ; elle manifeste des mimiques qui montrent que c’est moins confortable pour elle. Je reviens à son rythme, celui qui lui convient et lui en fais la remarque. Je lui dis que là il m’est difficile de faire attendre les patients suivants plus longtemps. Je l’informe que je dois clore la séance. Elle applaudit avec fougue, comme à la fin d’un spectacle et demande si elle peut m’embrasser pour me remercier. Accordé, bien sûr !!
Quel merveilleux moment, autant pour elle que pour moi… Je n’ai pas perdu mon temps, c’est certain.
Christine m’envoie un message la semaine suivante. Elle rentre de vacances et trouve sa mère plus détendue, elle a aussi plus d’appétit. A part mes interventions « tambour », il n’y a pas eu d’autres évènements. Moi qui la prends en charge depuis quelques mois maintenant, je peux dire qu’elle a retrouvé un transit plus régulier : constipée, elle avait des selles toutes les 3 semaines malgré la prise quotidienne de laxatif. Là elle a des selles toutes les semaines. Et surtout elle n’a pas rechuté depuis.
BN :
L’alliance des pratiques alternatives, non conventionnées et des soins classiques, conventionnés est pour moi une évidence.
Quelle reconnaissance leur accorder et quel cadre définir qui permettrait aussi de prémunir des dérives et abus?!
C’est aussi le questionnement de mon sujet de recherche portant sur « Impact du son du tambour chamanique sur les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ». La maladie d’Alzheimer fait partie des maladies neuro-dégénératives.
Il est grand temps que le regard porté sur la personne, la vie, les soins changent et s’ouvrent à autre chose que des soins stéréotypés, des protocoles. Certains pays ont commencé, c’est donc possible !!
Je pense que c’est au public de manifester son positionnement pour faire évoluer le système, car au bout de la chaîne, c’est lui ou un proche qui est concerné. C’est aussi être acteur et engagé dans son parcours de santé. C’est peut-être aussi ça, le nouveau monde de demain ?!
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