Cas 13 – Camille

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Je me promène aussi souvent que je le peux au parc bordelais pour rendre visite à « mon » arbre, parfois fébrile comme pour un RDV amoureux.

C’est le plus grand, le plus beau, le plus… je sais, il n’y a aucune objectivité dans ces propos, lol… j’assume. Je l’appelle Ormus Siberius.

Je m’assois et cale mon dos contre son tronc puis ferme les yeux dans une pause méditative. J’ai l’impression d’être dans sa chair, dans ses racines… Je suis Ormus Siberius… Parfois il me fait voyager.

Un jour, j’entends une voix :

– Je suis Camille.

– Camille ?! Mon intellect mouline.

– Je faisais partie des personnes qui ont eu l’accident d’avion, la nageuse.

Mon premier réflexe est de vouloir couper court à l’échange et de partir. J’ai vaguement entendu parler de cet accident mais je ne m’intéresse pas franchement au sport, donc Camille… Et parler avec des morts, en direct, c’est quoi ce truc, je n’ai pas envie, je veux qu’on me fiche la paix.

Pourtant je reste et je maintiens le contact parce que je sens comme une force qui me pousse à rester, je n’ai pas le droit de partir !

– Je suis triste d’être partie, parce que je suis jeune. Personne ne se souviendra de moi, je n’aurai rien laissé comme souvenirs dans ce monde, même pas un enfant qui soit de moi comme trace de ma vie.

Je ne sais pas quoi dire, j’ai les larmes qui montent parce que je sens le désespoir de cette âme. Je redouble même d’effort pour trouver les mots. Ils finissent pas venir naturellement :

– Nous laissons tous une trace. Personne ne t’oubliera je t’assure, parce que tu es un modèle pour beaucoup de jeunes. Tu es dans leur cœur et dans celui de beaucoup plus de personnes que tu ne peux l’imaginer. La douleur de ta perte sera transcendée dans ce que tu as transmis au travers d’elles.

Camille est très émue et soulagée. Elle me remercie et plus rien… elle est partie.

J’étais à la fois contente d’avoir pu aider une âme tourmentée à partir et en même temps je trouvais que ce n’était pas forcément cool parce que je n’avais rien demandé, que cela me mettait parfois bien dans l’embarras et aussi parce que c’est une responsabilité : ce que je fais et dis est-il juste ?

NB :

Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas avec ses yeux que la réalité d’un autre monde n’existe pas. Le monde invisible côtoie le monde visible depuis la nuit des temps.

Le monde visible est un leurre parfois bien plus grand que celui de l’invisible… Il participe à un jeu de codes où celui qui n’en a pas la culture est vite évincé, voir broyé.

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